18. Réconfort

Rentrer à la maison avec ce nouveau visage est une épreuve. Des amis chauves plaisantaient à propos du froid hivernal, dont je ne devais pas me plaindre avec la crinière imposante qui me recouvrait la tête. Ils avaient raison : je découvre de nouvelles sensations avec ce nouveau crâne, totalement vulnérable aux rafales de vent, pluies, tempêtes, courants d’air.

Je me trouve laid, je ne me reconnais pas trop. Ce n’est pas tellement de la peur ou du dégoût que m’inspire mon nouveau reflet ; plutôt de l’incrédulité. On me l’avait dit ; je le savais ; les cheveux allaient tomber et pourtant ça me semble si incroyable maintenant que c’est arrivé. Réconfort de savoir que ce n’est pas si grave, une calvitie masculine est autrement moins traumatisante que la même chose chez une femme.

Je n’ai pas besoin de me trouver souvent face au miroir : la chimiothérapie n’épargne rien du système pileux, et il n’y a donc rien à raser. Mais voilà, ma maladie est devenue visible. Dans ce visage que j’évite, je reconnais celui d’un autre, et je comprends quelque chose qui était hors de ma portée jusqu’alors.

Quelques années auparavant, j’avais un excellent « pote » en terminale scientifique. Pas dans la même section, mais clairement nous passions des soirées peu raisonnables au foyer autour du babyfoot. J’appréciais énormément son côté acide ; ses sarcasmes égratignaient tout le monde, il sacrifiait volontiers ses amis sur l’autel de l’ironie, juste pour rire. Clairement, assez spécial pour être détesté ou apprécié sans demi-mesure possible.

Un cancer l’a frappé en milieu d’année, et il ne fallut qu’un mois pour que ses cheveux abdiquent et lui prêtent le visage des cancéreux de bandes-dessinées : traits creusés, crâne luisant. Cela ne l’empêchait pas de rester le même, et de se payer sa propre tête.

Je ne comprends que maintenant à quel point j’ai été stupide d’avoir peur. De ne pas aborder le sujet, en parler comme n’importe quel sujet, qu’il pouvait clore si ça le dérangeait, alimenter si ça l’apaisait. Complètement crétin d'inconsciemment m’éloigner, ne pas le regarder trop longtemps quand on se croisait dans les couloirs. Il a fini par m’ignorer, comme beaucoup d’idiots dans mon genre – après tout il avait d’autres amis plus courageux que moi.

La maladie ne me change pas. Aux yeux des autres oui, mais ce physique, ce n’est qu’une illusion, un mirage, totalement passager. Mais lire chez les autres leur fausse inquiétude, le regard qui vous dit que vous n’avez pas de chance, qui vous condamne déjà.

Ces souvenirs me confortent dans ma démarche : c’est à moi, c’est au cancéreux d’aller vers les « sains » qui ont le droit d’être idiots comme j’ai pu l’être. Le « crabe » ne fait peur que par les médias qui nous bourrent le mou avec, les journaux qui nous parlent de cancers fulgurant les stars, les familles de héros d’Hollywood mourantes à l’hôpital, percées de tubes, un respirateur artificiel dramatique sur le nez si le dialoguiste a préféré un café à son travail.

Il faut arrêter, cette cochonnerie se soigne. Marre des messages extérieurs pas forcément fins qui communiquent qu’on ne peut faire grand-chose contre une maladie pareille. Marre de cette mentalité de perdant que semble avoir adopté le monde depuis que je suis malade.

Il me reste encore quatre chimiothérapies et de nombreux rayons ; cette perspective me fait soupirer. Je n’ai pas fini de souffrir… Physiquement.

Moralement je suis complètement prêt à une grande descente, au creux du « V ».

6 commentaires:

Gnark Sombre a dit…

"Laissez au moins essayer"

Anonyme a dit…

Bonjour Bruno,

dur dur de te lire... Mais c'est tellement vrai ce que tu décris.

Tu as raison d'y croire, de te battre de toutes tes forces. Je suis de tout coeur avec toi dans ce combat que j'ai connu au travers de mon Damien. Chaque cas est différent, on est tous différent. Même si nos chemins croisent le médullo, personne ne sait comment chacun va réagir aux traitements...
alors bats toi Bruno et ne t'entoure que de positif...

avec toute mon amitié

--
Fabienne, Maman de Damien 8ans et demi (24/09/98 - 30/06/07)
Médulloblastome diagnostiqué en avril 2004.

Anonyme a dit…

Que Dieu te bénisse.
Je prierai pour toi.

Anonyme a dit…

Ce que tu écris est si vrai... je n'ai jamais dévisager quelqu'un parce que son physique, son visage me disait qu'il était malade, je ne regarde pas avec insistance un handicapé non plus ... je ne le faisais pas avant et je le fais encore moins aujourd'hui parce que je sais à quel point ca peut faire mal ... j'ai déjà vu mon fils baisser les yeux, ou rehausser sa casquette parce qu'une connasse ou un crétin le fixait avec des yeux pleins de peines et de pitié, je ne supporte pas cela et à ses gens là je fais un doigt d'honneur !!!! parfois c'est insconscient parfois c'est inconvenant, une dose de curiosité mal placé qui les pousserait presque à te poser des questions....Comme tu le dis, cancer c'est pas forcément synonyme de mort et se battre et y croire est le plus merveilleux des remèdes... je t'admire par ton courage et ta force, et j'admire mon petit homme qui me donne chaque jour une leçon de vie ....
Je vous aime bcp tout les 2 ....
Que ta force ne te quitte jamais ...
amitié sincère
Karine

Anonyme a dit…

Hello Bruno,

Le regard des autres....Mais ce n'est pas si simple pour celui qui "voit". Ne pas regarder, peut-être interprèté comme de l'indifférence ou de la peur, or cela peut être de la pudeur..regarder peut-être pris comme du voyeurisme ou de la pitié...Alors pas facile ni pour l'un, ni pour l'autre. mais je sais que la première fois que j'ai vu Dylan à la kiné, je suis partie en courant pleurer plus loin, que j'avais une peine énorme à me rendre dans le service de pédiatrie pour les enfants cancéreux!!! J'avais peur de les regarder, de les voir livide. Mais, en effet, la perte des cheveux de Didi, de toi n'est pas un sujet tabou, c'est une évidence que c'est pénible de se retrouver la boule à raison alors comme tu le dis, ne pas éviter le cheveux mais pas la ramener non plus..Pour mes enfants, le petit crane de Didi était tout doux et cela faisait rire Didi...Et une fois expliqué les lignes traces poour la radiothérapie, pour les enfants, c'était OK, pigé, sujet clos!!!

Mais bon, je suis vraiment contente que tes cheveux s'accrochant, d'abord parce que tu y tiens, secondo, avec ta nouvelle coupe, tu as un look d'enfer..Eh qu'en pense ta pharmacienne lol???

Fabienne a raison, chaque cas est différent, mais une constante, c'est un combat terrible et de longue haleine. Alors ton super moral, ta dérision et ton humour sarcastique, j'adore!!!!

esskara@gmail.com a dit…

La dernière fois que j'ai pleuré en lisant un livre, c'était après avoir fini de lire "Le Petit Prince" de Saint-Exupéry.
Les souvenirs émergent, violemment, me plongent le nez dans le passé.
Je les ai caché pendant longtemps en pensant avoir fait le deuil de mon père.
Je suis grand et vieux maintenant, je vais être médecin, mon papa serait fier de moi...
Et je repleure. En te lisant. J'ai probablement ton âge et je repense à la mort, à la perte d'un être cher, mais pas n'importe quelle mort. Une mort atrocement lente, douloureusement éprouvante.
Merci pour ton témoignage, ça me donne encore plus de courage à faire du combat pour la vie des autres mon métier, en hommage à toi, à ceux qui font le deuil des êtres chers qu'ils ont perdu, en hommage à la vie, si cruelle...
Pensées émues à toi, ta famille et tes proches.

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