3. Réanimé

Mes yeux s’ouvrent, non sans difficulté. Aveuglés par un filet de soleil couchant qui se glisse à travers un store. Le simple mouvement de mes paupières me fait souffrir le martyr.

M’accommodant à ces conditions, mes pupilles scrutent la pièce dans laquelle je me trouve. Deux infirmières derrière une cloison vitrée s’activent sur des claviers d’ordinateur. Tout près de cette cloison, un lit supportant un malade intubé me rappelle pourquoi je suis ici. Evidemment, la salle de réanimation. Les soins intensifs.

Bip.

J’aurais pu, j’aurais même du sortir sourd de cette opération. Le Neurochirurgien m’avait collé une sueur froide en m’explicitant les clichés de l’imagerie à résonance nucléaire qu’il avait demandés. La tumeur à extraire s’était dangereusement rapprochée d’un nerf auditif, et il semblait vraiment peu probable de pouvoir l’éviter.

Bip, répète le scope au dessus de moi.

Le Neurochirurgien m’avait effrayé à l’évocation de cette possibilité. Il avait également, de façon extrêmement professionnelle, mentionné les risques d’inflammations postopératoires qui nécessitent alors une nouvelle intervention d’urgence. Je me rappelle avoir très précisément dégluti péniblement à l’instant précis où il ajoutait que j’avais probablement trois semaines pour faire un choix. Mais sûrement pas une journée de plus.

Tu parles d’un choix.

Bip.

J’aurais pu avoir la moitié droite du visage paralysée. Le cervelet, région où ma tumeur avait cru bon devoir se loger, régit la plupart des fonctions motrices humaines. J’aurai pu avoir des difficultés à utiliser mon bras droit, des difficultés à saisir des objets, voire, ne plus pouvoir m’en servir du tout.

Bip.

Je souris. Certes, je souffre atrocement, mon crâne semble fait de pierre, mes muscles sont figés dans un torticolis comme on n’en ressent qu’une fois dans une vie. La sonde naso-gastrique qui passe par mon nez pour plonger dans mon estomac est également un supplice. Sans parler de ce ballon gonflé dans ma vessie, avec ce tube transparent planté dans mon sexe : la sonde urinaire.

Bip.

Je souris tout de même. Le cauchemar est fini.

Je me rendors au son d’un nouveau « bip » réconfortant. Pour me réveiller immédiatement après. Je grommelle quelque chose d’intelligible pour mes seules oreilles. J’ai la voix rauque, changée. Le tube de plastique dans ma gorge m’a laissé un souvenir.

Bip.

Impossible de dormir ici. Je suis allongé, en position fœtale, tourné vers ma gauche. Il est hors de question que je change de position, mon crâne a été ouvert et refermé du côté droit dans la même journée. Je n’ose à peine le toucher…

Bip.

Je me sens inconfortable, j’essaie de gigoter un peu sur l’oreiller pour trouver une position où mon crâne et ma nuque seraient moins douloureux. Tous mes essais se soldent bien évidemment par des douleurs bien pires, ma nuque ne s’assouplit pas. Tant pis.

Bip.

Je repose ma tête sur l’oreiller de l’hôpital. Ma vue s’embrouille… J’ai la conscience très claire, mais mes sens ne se sont pas encore tout à fait remis de l’anesthésie, on dirait. Même des pans de ma mémoire restent inexplorables, comme plongés dans une boue chimique.

Bip, bip, bip, bip !

L’écran au dessus de moi entame une symphonie électronique. Une infirmière s’affole, s’approche de moi, contrôle un truc fixé au bout de mon doigt. Semble rassurée, me sourit, s’en va.

Bip.

Je hausse un sourcil. Je n’avais même pas remarqué cette pince, coincant mon index gauche entre ses crocs de plastique. Je n’ose même pas bouger mon doigt, de peur d’être rappelé à l’ordre par la machine, qui, bien qu’étant mon ange gardien mécanique, me fait surtout penser à un concierge qui ne supporterait pas que je m’endorme tranquillement sans payer mon loyer de souffrances.

Bip.

Tout m’agace. Je souffre, j’ai envie d’hurler aux infirmières de m’injecter un truc, je ne sais pas moi, quelque chose ! Je ne le fais même pas, de peur de tuer définitivement mes cordes vocales dans l’exercice.

Bip.

Les sons s’éloignent. J’ai une pensée pour mes parents… Ca y est, je me souviens distinctement d’eux. Je me rappelle précisément d’eux, juste là, sous mes yeux embués de larmes, juste à côté de mon lit de malade. Ils étaient là il y a quelques heures, quelques jours ? Je ne sais même pas… Je me souviens leur avoir dit que j’avais mal. Pff, quelle futile précision, je pense qu’on avait dû les prévenir. Je me souviens que les avoir vus m’avait redonné une force que je ne soupçonnais même pas chez moi.

Bip.

De quoi je m’inquiète… Je suis vivant, en un seul morceau, le Neurochirurgien a fait un travail hallucinant. Il m’a sauvé la vie finalement. Ni plus, ni moins. Il en sauve tous les jours, des comme moi.

Bip….

Je ne sais pas vraiment comment, mais je crois que je réussis à m’endormir à ce moment là.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est magnifique mec, j'te tire mon chapeau, bien bas. Respect total.

La façon dont t'en parle, si poignante, si réaliste, m'a impressionné comme tu peux pas imaginer, j'y étais...

Ca faisait longtemps que quelqu'un m'avait pas fait verser une larme.

Anonyme a dit…

Je pleure en t'écrivant, car lorsque je lis tes souffrances, j'ai terriblement mal en me disant que Jade a dû ressentir la même chose sans pouvoir le dire (trop petite)...
Virginie mamange de Jade

pedro a dit…

Je trouve que tu écris vraiment super bien. Certes ce que tu y racontes est poignant, mais tu as un talent indéniable pour l'écriture!
Pedro (fresh body shop)

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