8. Air

Je ne sais pas vraiment comment se sont déroulés les jours qui ont suivi.

Entre le dimanche de l'annonce et le mardi du départ, la vie quotidienne avait repris ses droits. Les papiers à remplir, les affaires sales à ranger dans le compartiment d'une valise… Je retrouvais même les exigences paperassières et administratives nécessaires pour préparer mon départ.

Tout ça semblait si fade. Il fallait tout simplement que je digère ce qu'allait être ma nouvelle vie. Ou que je digère qu'elle se termine bientôt.

Je pose mes yeux sur le dernier feuillet à signer. Un accord pour autoriser les laboratoires et scientifiques des recherches dites fondamentales à faire joujou avec le « matériel tumoral » extrait de mon crâne. Je me demande s'il existe des égoïstes ou des paranoïaques qui refusent. Pour moi ça n'a aucune importance. Et puis, si ça peut aider…

Rentré à la maison, parmi les miens. Tout semble si fade. Au fond de moi, je suis comme convaincu que je ne peux pas guérir. Je suis comme tout le monde, l'évocation du mot maudit, le « cancer », le crabe, me fait trembler. Une maladie qu'on ne peut pas guérir. On peut la repousser la combattre, mais c'est comme si je cherchais à retarder l'inéluctable.

Ce qui est vrai avec ou sans cancer, finalement.

Je me fais violence. Si je commence à philosopher sur le sens de ma vie et de ma mort, c'est certainement un pas de plus vers ma tombe. Bizarrement, je n'ai pas l'impression de vouloir guérir. Je n'ai pas encore mis les pieds dans cet institut auquel on m'a adressé. J'y vais dans dix jours. Quelle importance. J'ai peur de poser la question au Professeur qui s'occupera de moi là-bas.

Je ne sais même pas si je la poserai.

Le vent sur ma peau. Ah, oui… Je me suis laissé porter par le cours des événements, totalement dépendant de ce que décident les autres, comme sur des rails. Une note sur du papier à musique. Me voilà sur une plage, avec mes parents. Ils ont du penser que ça me ferait du bien. Ils ont raison.

Mes sourires sonnent faux. Je le sens, je les force. Je n'ai pas du tout envie de sourire. J'ai surtout envie de disparaître. Mourir est horrible, j'ai la prétention de penser que je vais faire souffrir mon entourage. J'aimerais juste ne jamais avoir existé. Tout ça n'a de sens pour personne.

J'ai mal. Mal au cœur, qui ne sait quel rythme adopter, entre la peur, l'espoir, et… les corticoïdes qui lui imposent des sprints qui me laissent haletant. Mal à l'âme, qui fait son propre deuil, qui ne peut pourtant pas s'imaginer disparaitre. Comme si la mort n'était qu'un concept inventé pour les autres.

Mal au corps. Ce grand inconnu que je néglige désormais. Il m'a trahi. Ma gorge est détruite, chaque déglutition me donne l'impression d'avaler un clou. La conviction que cette douleur restera toute ma vie s'installe. Je n'ai même pas envie d'aller voir mon médecin généraliste. Peur de ce qu'il dira. Peur qu'il m'approche de la réponse à la question que je ne veux pas poser.

Mal aux yeux. J'ai l'impression de voir double, ma vue baisse… Des « troubles neurologiques ». Quel terme froidement scientifique pour simplement signaler que tout se barre en miettes. Encore une fois, une conviction que ce n'est que le début.

J'aurai prié pour que le cancer me frappe ailleurs. Mais pas mon cerveau, qui ne me laissera sûrement pas le loisir d'être pleinement conscient, pleinement moi-même, sur mon chemin vers la mort. Je ne sais même pas ce que je vais devenir.

Les jours ont donc passé. Je ne me reconnais pas, si calme, au milieu des autres cancéreux qui attendent de rencontrer le Professeur. La maigre connexion qui me reste avec le monde bassement pratique des vivants m'apprend que nous devons être un Mardi d'octobre, quelque dix jours après l'annonce du diagnostic par le chirurgien. J'attends. Les consultations sont longues, sûrement douloureuses. Nous sommes tous en retard d'une heure ici sur les heures prévues. N'importe qui, dans une salle d'attente classique, aurait déjà provoqué un scandale bien tonitruant.

Ici, rien. L'atmosphère est surréaliste. A peine, je sens les regards des autres patients m'effleurer. Sans doute, se demandent-ils ce que ce jeune homme fait ici, coincé entre son père et sa mère. Pourtant, je sais qu'ils savent. Ces choses là se sentent. L'expression inquiète qui se marque sur les visages de mes parents, et mon total désintérêt pour le monde qui doit se lire dans mes yeux, les mettent sûrement sur la voie.

Nous sommes tous dans la même galère.

Une porte s'ouvre. Le Professeur nous reçoit.

« Une histoire de fous, ça alors, n'est-ce pas… »

Il ne croit pas si bien dire. Je n'aurais pas fait meilleure introduction.

Alors les mots sortent de sa bouche. Un flot d'explications. Je passe à travers, je nage. Je m'accroche à certains, comme « chimiothérapie » ou « radiothérapie », comme des bouées mal gonflées. Je recoule. Je vois ma mère courageuse, pratique, demander si on peut tout de même prévoir l'avenir en prévision de la stérilité qu'entraînera certainement la chimio. Je devine mon père, inquiet des radiations, interroger le professeur sur la calibration des machines.

Je coule toujours. J'entends leurs voix à travers l'eau. Je vois une bouée, bien plus costaude que les autres. Je m'y accroche coûte que coûte. Elle est marquée « Tomothérapie ». Le professeur explique qu'il s'agit d'un nouvel équipement de traitement, ultramoderne, extrêmement onéreux, qui vient des Etats-Unis. Beaucoup moins dangereux pour les tissus sains autour de la zone que l'on irradie.

Radiations. Je recoule. Malgré ma bouée, je ne vois pas de terre. J'ai envie d'hurler qu'il est inutile de se battre, ça ne sert strictement à rien. J'ai juste envie qu'on me foute la paix, avec le fol espoir qu'on me dise que tout est déjà fini.

Je me noie cette fois. Mais je pose enfin cette question qui me comprime les poumons depuis déjà trop longtemps.

« Professeur, franchement, mon pronostic vital, c'est combien à peu près ? »

Il me fixe des yeux.

« Il est bon, Bruno. J'ai guéri des médullos, je connais une patiente qui en a eu un à vingt ans et qui a eu des enfants récemment ! »

Une explosion d'espoir dans mon esprit. Je me sens soudainement mieux. Peut-être a-t-il menti ? Peu importe, je m'en fiche. Il m'a tout simplement donné envie de me battre. Je me raccroche à une barque, il faut que je rame vers la terre. Une île. Cette île, c'est la fin des traitements. Cette île, je l'atteindrai quand la chimio aura ravagé les cellules de mon corps, entraînant les saines comme les mauvaises, et que les rayons X auront forcé les cellules bandites de mon corps à constater leur ADN cabossé et se suicider.

Je n'ai qu'une barque. Ce médecin va m'aider, je le sens. Juste pour mes parents, juste pour lui, je n'ai pas le droit de laisser tomber. On va me donner les rames, mais on ne peut pas naviguer à ma place. Sous les termes « protocole » et « dosimétrie » je devine qu'un immense travail va se mettre en place entre médecins.

Pour me sauver, ni plus ni moins.

Ressortant de cette entrevue, je recroise le Muet. Et sa compagne. Je suis content de le voir. J'espère qu'il aura lui aussi, sa bouffée d'air.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

salut ....
encore envie de te dire que tu écris divinement bien (même si je le dis tout le temps ! lol)
Il faut te raccrocher à ton "pronostic vital" car il est + que positif ... tu vas t'en sortir et j'en suis convaincue.
Dis toi que pour Dimitri, à l'annonce de la récidive nous sommes passés de "condamné" à "ce traitement est sa dernière chance ...." question pronostic on fait mieux !
Mais l'espoir et l'amour fait tous le reste... je veux y croire ..que dis-je ! J Y CROIS DE TOUT MON COEUR

Amitié sincére K@rine

Anonyme a dit…

juste un mot envoyé
un tout petit mot laissé
a propos de notre passion
et voila ainsi démarrai
une si belle amitié
j'ai appris a te connaître
tu était pourtant si dur a cerner
je t'ai raconté mes plus grands secrets
ce qui torturai le plus profond de mon être
tu m'a annoncé un jour
le plus lourd fardeau qui te pesai
a l'annonce de cette nouvelle
au fur et a mesure que tes mots tombaient
le monde autour de moi s'écroulait
un ami dans le besoin
comment pouvais je le supporter
tu es a toi seul
tout ce dont une femme pourrai rêver
la gentillesse même
l'amour en personne
et par delà cette épreuve
que tu surmontera j'en suis certaine
je serai la
tu pourra t'appuyer sur moi
me crier dessus
me frapper tant que tu voudra
si le besoin est la
je serai la pour toi
quoi que le ciel en dise
et par tes mots si durs
mon coeur se rempli de cette envie
de te dire par deux petit mot
et te prouver ainsi mes sentiments
je t'aime

dédicace spéciale pour toi Bruno: ta petite chérie

tu m'as dis que tu avais aimé se poème que j'ai écris pour toi
alors juste par tendresse je te l'offre ici
je suis sur que tu guérira mon ange
parce que je le souhaite plus que tout.
je ne crois pas au hasard
si tu es entré dans ma vie et moi dans la tienne c'est qu'il doit y avoir une raison bien valable
je ne sais pas laquelle
mais ce que je sait c'est que je ne peut accepter de te perdre

avec ton mon amour
ta chiwie

Anonyme a dit…

je me décide à enfin laisser un commentaire, parce que ce chapitre m'a vraiment secouée... c'est impressionnant à quel point ton écriture est à la fois simple et traumatisante, c'est très difficile à lire sachant qu'en plus c'est vrai...

cette saleté de maladie ne t'aura pas, c'est certain, et je peux déjà pas supporter que toi et d'autres aient à en souffrir, la vie est une chienne quand elle s'y met

courage gnark, la carnivore

Anonyme a dit…

Bonjour Bruno,

Je découvre ton blog grâce au blog de Dimitri.

Si je ne me trompe pas, tu m'as contacté par email au mois de novembre.

En tout cas, à te lire - et je rejoins Karine tu écris divinement bien- ton cerveau va bien, même très bien lol pour écrire aussi bien et être aussi lucide.

Tu traverses des moments difficiles mais au bout du tunnel il y a la lumière. Tu dois y croire et ne pas penser que ta vie va s'arrêter.

Je me permets de ta faire un gros bisous. Paraît que la bisouthérapie cela a du bon lolll

A bientôt

laurence

Unknown a dit…

bonjour Bruno,

J'ai eu connaissance de votre blog par Laurence. On est en contact régulier depuis la mort de mon fils Damien décédé d'un medulloblastome à l'age de 8ans et demi.
J'ai lu avec attention votre témoignage. Cela me permet de meix comprendre ce quà du ressentir mon fils aux différentes étapes qu'il a du passer. J'ai écrit un blog en sa mémoire.http://damien.m.medicalistes.org
Demander les autorisations pour l'accès au Blog.

Fabienne, Maman de Damien (24/09/98 - 30/06/07)
Médulloblastome décelé en Avril 2004.
Exérèse totale, suivi du Protocole PNET 4. Stoppé pour oto-toxicité en mars 2005.
Récidive en Juin 2006 (Chimios TEMODAL + THIOTEPA intrathécal)
En Janvier 2007, rechute et nouvelle chimio (MUPHORAN) + Immunothérapie (IL2), non supportée.
Tombe finalement dans le coma le 15 juin 2007.

fab.68@orange.fr

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